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Marcher dans la beauté
24 juin 2007

@690

    J'étais crevée. La journée avait été rude, j'étais restée beaucoup trop tard. Des personnes fâchées à réconcilier, de multiples incidents à régler. J'avais ouvert ma bal mécaniquement en rentrant, par habitude. Surprise ! Elle abritait une lettre, enfin plutôt un rouleau, couleur parchemin défraichi. Un produit qui devenait rare. Même les publicitaires avaient changé de diffusion. Tout ou presque arrivait désormais par Internet, ou, pire encore, sous forme de SMS. Alors dans les nouveaux immeubles qui sortaient de terre, les boites à lettres tenaient plus du tiroir à crayon que de la boite ventrue de mon enfance. Et ce, pour le plus grand malheur des enfants qui ne pouvaient plus se tortiller les doigts par la fente pour chiper les prospectus des voisins, pour le plus grand bonheur aussi des décorateurs intérieurs qui rivalisaient de créativité pour dessiner les plus beaux blocs de tiroirs urbains. Nous avions réussi à libérer les arbres de leur servitude publicitaire mais pas les nouvelles technologies... La fracture numérique chère à Chirac croissait tranquillement à l'abri de tout danger. Les consuméristes veillaient au grain.

    Cela m'énervait de défiler les sms, 99% d'inutiles en général. Mon portable bon prince avait parfois parfois fait le tri et censuré plusieurs jours durant toute réception ! J'avais quand même fini par souscrire un abonnement anti bombardement intempestif. La différence était appréciable. Je pouvais lécher les vitrines sans sursauter à chaque vibration de portable pour message publicitaire. J'avoue que mes contemporains qui vivaient heureux avec cette servitude volontaire me laissaient baba. Pour moi c'était du flicage, pas de la pub ; Big brother veillait et tout le monde ou presque s'en réjouissait. Vive la main mise sur les médias...

    Là, dans la boite se tenait une incarnation du mystère. J'ai attrapé précautionneusement le rouleau, tout léger et je l'ai contemplé. Il était composé de feuilles de papier soigneusement roulées ensemble. L'adresse avait été rédigée délicatement à la main. L'expéditeur devait être un inconditionnel de l'écrit, du tangible et du beau. Rien que cela. L'écriture ne m'était pas familière, les timbres très colorés non plus. Le paquet venait directement du Costa Rica. Je ne connaissais personne là-bas. Bizarre. J'ai glissé le rouleau dans mon sac et je suis rentrée chez moi.

    J'avais déménagé depuis peu. Mon nouvel antre lumineux se prolongeait par une terrasse qui donnait sur le parc de Pali Kao. Les soirs très doux, quand je laissais les fenêtres ouvertes, montait de la rue Piat une suave odeur de shit. Déconcertant la première fois, effet de surprise garanti pour mes invités ! La porte d'entrée ouvrait directement sur la pièce principale peinte en sorbet noix de coco, et j'avais recouvert le parquet d'un vert amande très tendre. Face à la porte, un paravent bricolé coupait le flux d'énergie entrante - vert et rose avec un perroquet étincelant au pochoir. Une secrète prémonition costaricaine avait dû m'envahir quand je peignais. L'oiseau apportait une note colorée et résolument jardinesque, douce évocation des plantes vertes qui nous gavions de pollution pour qu'elles nous servent un air très pur et très oxygéné.

    J'ai accroché ma veste en simili cuir à l'autre perroquet, plus sobre et j'ai ouvert en grand la porte fenêtre pour respirer à plein nez l'odeur des géraniums avant la tombée de la nuit. J'avais lu quelque part que cette charmante végétation éloignait les moustiques et atténuaient les humeurs dépressives. Bonheur et double jack pot. J'avais installé illico une collection de balconnières dans les camaieux de rose pour satisfaire mon goût de la collection, dont un merveilleux apple blossom.

    Les lumières de mon répondeur clignotaient comme des feux de détresse, celles de ma bal électronique non. J'avais un seul message, il attendrait la profondeur de la nuit pour délivrer ses signes noirs. J'ai déballé mon sac et posé le rouleau sur le répondeur, et je suis partie dans la salle de bains. J'avais envie d'une douche tonique pour me vider la tête. Et le précédent occupant avait eu la lumineuse idée d'installer une douche multi jets dont j'abusais volontiers. Ce massage aqueux et piquant était une vraie bénédiction pour chasser la grisaille.

    Sitôt pensé, sitôt fait. J'ai enfile une jupe kaki et un T shirt parme. La tête enveloppée dans une serviette soleil, je me sentais toute neuve, prête à un paisible tête à tête avec moi même. Je me suis servi un grand verre de jus d'orange avec un trait de rhum agricole, une rondelle de citron vert, une guirlande de glaçons et je me suis installée dans mon fauteuil framboise, le mystère à la main.

    C'étaient bien des feuilles de pub enroulées autour d'une surprise. Une barre de shit vu la couleur et l'odeur. Je trouvais l'expéditeur inconnu audacieux : drôle de publicité pour un hôtel à l'autre bout du monde. Audacieux, explicite, mais pourquoi moi ? J'étais bien étonnée ; le Costa Rica est réputé pour son café, son quetzal et son doctorat de la paix, mais pas pour sa drogue ! Pas un mot d'explication, juste de la pub et une carte générique de l'hôtel Anaconda. L'endroit était aussi magnifique qu'hors de prix. Les lieux que je fréquentais ne rivalisaient ne rien avec cet hôtel, leur seul point commun : être perdus au bout du monde. Un serpent shooté ? cela pouvait être cocasse ! J'ai retourné la carte de l'hôtel. En haut à gauche figurait cette étrange inscription au crayon : @690.

 

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