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Marcher dans la beauté
15 juillet 2007

Loin du monde

rongorongoDes fleurs partout, des odeurs et des parfums enivrants. Je suis partie au bout du monde, exil volontaire gagné à coup d'avion, de bateau et de moto. Quarante huit heures de voyage pour me déprendre de Paris. Me déprendre d'un temps devenu fou, d'un horizon étréci à l'extrême, d'un air saturé de carbone où ne filtrent plus que l'odeur des pétards du quatorze juillet. Je suis où nul ne saura me trouver, plongée au coeur des origines. Au creux de mon bras un tatouage discret témoigne de ma filiation. Je suis fille d'homme oiseau, pêcheur d'oeuf lointain. Objet rond de toutes mes sollicitudes, concentration, quintessence de terre. Je tiens au creux de mon bras, comme un enfant sauvage, mon tatouage polynésien.

Ancre jetée à travers le temps et l'espace qui me rappelle qui je suis, d'où je viens. Ancre tatouée à mon premier retour d'exil. C'est un ami qui me l'a dessiné, des heures durant avec ses doigts, avec ses cheveux, sa langue, ses outils d'homme. Et quand il a été certain que le dessin ne faisait plus qu'un avec ma peau, plus qu'un avec moi, il lui a donné ses couleurs d'encre de Chine. Lui portait un magnifique collier tatoué qui resplendissait sur sa peau cuivré à la lumière tombante. Il m'a enseigné le chemin des sens. Il m'a appris à regarder avec mes yeux, à gouter avec ma peau et ma bouche, à sentir avec mon nez, écouter avec mes oreilles. Lapalissade ? Non ! Essayez d'écouter les oiseaux sans les chercher des yeux, de humer un fruit sans imaginer son odeur en le voyant, de regarder la mer sans écouter le mugissement des vagues. Apprendre chaque instrument patiemment, des heures durant, avec l'esprit du débutant. Et c'est seulement quand j'ai commence à être à l'aise avec chacun, alors seulement il m'a autorisé à les mélanger. Non pas pour les mélanger comme dans un ragout, non, les mélanger comme en cuisine japonaise, pour que chaque ingrédient apporte sa saveur.

Ici mes sens retrouvent peu à peu leurs finesse. Ma tête s'éteint doucement pour laisser monter le chant des fleurs, le chant des couleurs, le chant des parfums, le chant de la mer, douce mélopée hypnotique qui dispense un peu d'humidité au creux de la peau. Le chant des saveurs qui explosent en bouche, morceaux de fruits mordus, tranches de poisson crus déchiquetés, gorgées de bière fraiche - toujours fraiche - qui répandent un peu de frais au dedans de moi. Le chant de la peau quand le soleil la chauffe, quand le vent se glisse sous mon paréo et fait fi de toute intimité. Les pieds nus, je m'imprègne de l'énergie de mes ancêtres. Je me sens liée, liée et partie prenante de cette terre desséchée, de cette ile perdue à des milliers de kilomètres d'un continent.

Ici je dors peu, je retisse ma trame, je répare mes accrocs. Je m'allège des scories dont bêtement je me suis alourdie. Je redonne à mon tissu de vie souplesse et solidité. Je l'imprègne des fragrances de fleurs qui ne poussent qu'ici et qui font palpiter mon nez. Ici je reconnais les gens à leur démarche, à l'odeur qu'ils portent. Mes yeux ne servent qu'à guider mes pas et saisir les mouvements.  Ici les gens ont une peau gouteuse, subtilement salée par les corps à corps, par les baisers profonds.

Quand esprit et intention chevauchent le coeur, les gestes redeviennent simples - apanage d'une vie fruste - beaux parce qu'ils allient intention et attention. Beaux parce qu'ils n'ont rien à cacher, rien à maquiller. J'aime le dépouillement de cette île incroyable, il m'apaise, me dépouille, me dénude. Je me sens profondément vivante dans cet exil, dans ce retrait du monde urbain. Et quand mon portable vibre, porteur d'un message civilisé, je ne peux m'empêcher de sourire et de saluer les liens qui se tissent de par le monde, qui vivent et qui s'expriment. Ils me tiennent chaud au coeur.

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Commentaires
S
Moukmouk : comme quoi tu vois, dans nos racines nous avons tous le même patrimoine ...
M
houla! Magnifique texte, tu me dirais que tu fais ne description de la pensée sauvage que je dirais oui, tu réussis.
S
Richard : merci ! Nous aimons tous les deux notre langue.<br /> Tito : ton étonnement est doux ! je suis ravie de ce transport !
T
je suis de plus en plus étonne de ta capacité d'écriture, de ta capacite de pouvoir transporter les gens à travers de mots au but du monde.<br /> merci pour ce texte, il m'a reconcilier avec la lecture.<br /> tito
R
Pétard, quel joli texte ! Son souffle long me parvient jusqu'ici. "Me déprendre", j'avais presque oublié ce verbe.
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